Choc cardiogénique et bloc de branche gauche nouveau

26 avril 2015

Choc cardiogénique et bloc de branche gauche nouveau

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Il s’agit du cas d’un homme de 59 ans se présentant dans un centre hospitalier de première ligne pour un épisode de défaillance cardiaque évoluant vers un choc cardiogénique en quelques heures à peine. En raison d’un bloc de branche gauche nouveau, le patient est immédiatement transféré pour une coronarographie d’urgence. À son arrivée, le patient est intubé et requiert un support aminergique considérable pour maintenir des tensions artérielles compatibles avec la vie. Puisque que le patient est instable, vous optez pour un accès fémoral gauche parce que ce dernier pourra être converti si une assistance ventriculaire gauche percutanée s’avérait nécessaire.

Malgré vos efforts soutenus, même votre plus petit cathéter refuse de franchir l’aorte ascendante en direction du cœur (Image 1). Vous convertissez votre accès en voie radiale gauche, avec succès. En plus d’une dominance gauche, la coronarographie montre des lésions épicardiques diffuses (Image 2). Bien que diffuses, ces lésions sont bien en deçà du seuil significatif de 50%.

Aortographie en incidence antéropostérieure montrant une occlusion aortique à l’origine de la crosse.
Aortographie en incidence antéropostérieure montrant une occlusion aortique à l’origine de la crosse.
Coronarographie en incidence caudale droite montrant des lésions non-significatives sur le tronc commun, l’interventriculaire antérieure et la circonflexe (dominante).
Coronarographie en incidence caudale droite montrant des lésions non-significatives sur le tronc commun, l’interventriculaire antérieure et la circonflexe (dominante).

Une coarctation de l’aorte avec défaillance ventriculaire gauche
La prochaine étape est de confirmer le diagnostic, ce que vous vous faites par le biais d’une aortographie ascendante (Image 3). Vous aurez reconnu la coarctation de l’aorte. Cette trouvaille à 59 ans est d’autant plus surprenante qu’il semble s’agir d’une interruption complète de l’arc aortique. Vous obtenez l’information que le patient se plaignait depuis 2 ans de symptômes de défaillance cardiaque avec une objectivation par échocardiographie d’un ventricule gauche hypertrophique et dilaté menant à une fraction d’éjection abaissée (40%).

Aortographie en oblique antérieure droite montrant une interruption de la crosse aortique avec ectasie sévère des vaisseaux de la base. Notamment, l’aorte est interrompue entre la carotide et la sous-clavière droite.
Aortographie en oblique antérieure droite montrant une interruption de la crosse aortique avec ectasie sévère des vaisseaux de la base. Notamment, l’aorte est interrompue entre la carotide et la sous-clavière droite.

Chez l’adulte, les autres possibilités diagnostiques incluent une occlusion thrombotique de l’aorte, laquelle se manifeste plus souvent par une occlusion au niveau de la bifurcation (avec thrombus en selle). La sténose aortique de même que la sténose supra-valvulaire pourrait théoriquement imiter le tableau de coarctation aortique. Une observation intéressante est le fait que la coarctation aortique est fréquemment associée à une valve aortique bicuspide. Cette dernière condition peut précipiter une sténose aortique accélérée en raison de l’usure prématurée des valvules. L’interruption de l’arc aortique se présente par un tableau de choc chez le nouveau-né.

Techniquement, il est impossible de différencier la coarctation aortique critique de l’interruption aortique. Plus rarement, une pseudo-coarctation aortique par compression extrinsèque d’une tumeur médiastinale peut mimer le présent tableau. Également, certains auteurs réservent le terme pseudo-coarctation à une plicature de l’arc dans la région du ligament arteriosum avec élongation subséquente de l’aorte thoracique. Cette dernière trouvaille ne cause généralement pas de gradient hémodynamiquement significatif. En regard de l’image 2, une autre possibilité aurait été une dissection artérielle iatrogénique par le cathéter avec création d’une fausse lumière allant depuis l’artère fémorale jusqu’à l’aorte descendante. Plus globalement, d’autres pathologies pédiatriques, telles que l’hypoplasie de l’arc aortique ou l’hypoplasie du cœur gauche viennent compléter les possibilités diagnostiques.

Mais tout ceci n’explique pas la décompensation aiguë présentée par le patient. Il vous faut agir. Un échocardiogramme objective une fraction d’éjection du ventricule gauche entre 5% et 10%. Fait intéressant, vous n’objectivez pas de communication interventriculaire, parfois associée à la coarctation aortique. Le cœur semble à bout de souffle, épuisé par tant d’années de combat contre la coarctation. Vous reconnaissez qu’il vous faudra immédiatement supporter le ventricule gauche.

L’obstruction aortique limite considérablement vos options : le ballon intra-aortique, l’Impella (TM) et même le Tandem Heart (TM) sont contre-indiqués à moins de tenter une approche sélective par l’artère axillaire droite, ce qui vous semble pour le moins hasardeux. Après consultation avec vos collègues chirurgiens cardiaques et devant l’apparente détérioration du patient, vous optez pour un transfert en salle d’opération pour correction d’urgence de la coarctation. Le chirurgien implante un premier greffon de 8 mm qu’il anastomose à l’aorte thoracique rétro péricardique. Il implante ensuite un second greffon similaire sur l’aorte ascendante, si bien que les 2 greffons sont finalement anastomosés l’un à l’autre pour reproduire la courbure aortique.

Une évolution difficile
La chirurgie d’abord initiée sous circulation extracorporelle est convertie en ECMO (Extracorporel Membrane Oxygénation, ou oxygénation par membrane extracorporelle), à cause d’un arrêt cardio-respiratoire de quelques secondes. Au premier jour postopératoire le patient développe un immense hémothorax droit qui nécessite une reprise chirurgicale pour drainer la plèvre. L’ECMO et la reprise chirurgicale auront permis une amélioration sur le plan métabolique – mais la fonction myocardique refuse de reprendre. La transplantation cardiaque est la seule option résiduelle. Après accord interdisciplinaire, le patient est listé pour greffe urgente qu’il obtiendra 3 jours après sa présentation inaugurale.

L’échocardiographie cardiaque faite 24 heures après la transplantation montre un cœur nouveau dont la fonction semble inquiétante – en effet la fraction d’éjection chute à 40%. Encore plus inquiétant est le fait que le ventricule droit semble vouloir fléchir encore plus, et ce malgré un support aminergique marqué. Au 5e jour après le retrait de l’ECMO, vous notez une nette amélioration des fonctions ventriculaires – la fraction d’éjection gauche est désormais mesurée à 55%, avec une fonction ventriculaire droite quasi normale.

Au 6e jour, vous notez à nouveau une détérioration du tableau à cause d’une septicémie à gram positif et négatif. À la tomodensitométrie cérébrale, une nouvelle hypodensité impliquant presque tout l’hémisphère cérébelleux gauche est notée avec effet de masse et compression du 4e ventricule (Image 4).

Tomodensitométrie cérébrale montrant une hypodensité impliquant presque tout l’hémisphère cérébelleux gauche avec effet de masse et compression du 4e ventricule.
Tomodensitométrie cérébrale montrant une hypodensité impliquant presque tout l’hémisphère cérébelleux gauche avec effet de masse et compression du 4e ventricule.

À la suite d’une lente détérioration, vous notez l’apparition d’opacités alvéolaires multiples au poumon gauche, compatibles avec une pneumonie multifocale. Le patient décèdera le lendemain des suites d’une défaillance multi-organique.