Arthrite rhumatoïde, dyslipidémie et risques cardiovasculaires

26 avril 2015

Arthrite rhumatoïde, dyslipidémie et risques cardiovasculaires

37

Madame Dion, une comptable de 60 ans est référée à la clinique des lipides par son médecin de famille pour déterminer si elle devrait être traitée avec un hypolipidémiant. Elle relate que son taux de cholestérol est légèrement élevé depuis sa ménopause, survenue à l’âge de 50 ans, et qu’elle présente également des niveaux élevés de Lp(a) mesurés à plusieurs reprises par son gynécologue. Elle affirme d’emblée qu’elle est réticente à prendre une pilule de plus, considérant qu’elle en prend déjà beaucoup.

À l’histoire médicale, on note une polyarthrite rhumatoïde diagnostiquée à l’âge de 55 ans qui est en rémission actuellement depuis trois ans. Une hypertension traitée depuis cinq ans, une ménopause symptomatique hormonosubstituée depuis neuf ans et des antécédents d’appendicectomie à l’adolescence. Elle n’a jamais présenté de maladie vasculaire (cardiaque, cérébrale ou périphérique) et elle n’a pas non plus d’antécédent de diabète ou d’intolérance au glucose.

Sa médication consiste en ramipril 5 mg par jour, Estrogel 2.5 mg par jour, Prometrium 100 mg par jour, Methotrexate 4 mg s.c. une fois par semaine, acide folique 1 mg par jour et LiquiCal D 500/400 mg bid.

À l’histoire familiale, on note que le père a subi un infarctus du myocarde à 58 ans et est décédé de MCAS à 72 ans. Un des deux frères a également présenté un infarctus et subi une dilatation coronarienne à l’âge de 64 ans. Il est actuellement traité avec une statine. La mère de 85 ans est en bonne santé.

Au plan de ses habitudes de vie, elle ne fume plus depuis environ trente ans, elle prend un verre de vin par jour et pratique six heures d’exercice aérobique par semaine. Son régime alimentaire lui apporte 1,600 kilocalories par jour, 218 mg de cholestérol et 1,680 mg de sodium. 29% des calories sont sous forme de lipides et 8% de sucres concentrés.

À l’examen physique, elle mesure 1.59 M, pèse 58 kg pour un IMC de 23.3 avec un tour de taille de 77 cm. Sa tension artérielle est de 132/80 et son rythme cardiaque de 60/minute. Son examen cardiovasculaire est normal avec de bons pouls et l’absence de souffle vasculaire. Elle présente toutefois des déformations modérées des métacarpophalangiennes et interphalangiennes proximales des deux mains. Elle n’a pas d’arthralgie, de synovite ou de xanthome tendineux. Elle est également complètement asymptomatique au questionnaire.

Son bilan biochimique est le suivant : cholestérol total 5.26 mmol/L, LDL-C 3.24, HDL-C 1.28, TG 1.41, CT/HDL-C 4.11, Apo B 1.06 g/L et Lp(a) 1.13 g/L (normale < 0.30). Le reste du bilan biochimique se lit comme suit : glucose 4.2, créatinine 107, ALT 27, AST 22, CK 175, acide urique 360, TSH 1.11, Hba1c 0.060, albumine/créatinine urinaire 0.5 mg/mmol, FSC normale, VS à 6 mm/h et ECG de repos normal. Étant donné que madame Dion ne présente pas de stigmate de maladie cardiovasculaire et qu'elle n'est pas diabétique, la première étape pour déterminer si elle mérite un traitement hypolipidémiant pharmacologique consiste à établir son risque cardiovasculaire global à dix ans en utilisant la table de Framingham. En faisant cet exercice, on constate qu'elle cumule un total de 15 points, ce qui correspond à un risque à dix ans de 13.7%, donc modéré. Pour une patiente à risque modéré, on considère l'instauration d'un traitement pharmacologique lorsque le LDL-C est plus grand que 3.5 mmol/L ou lorsque le rapport TC/HDL-C est plus grand que 5 ou en présence d'une histoire familiale de maladie cardiovasculaire précoce ou si le hsCRP est supérieur à 2 mg/L. Dans le cas de madame Dion, étant donné son histoire familiale, on pourrait considérer qu'elle est d'emblée candidate à un traitement pharmacologique étant donné que ses habitudes de vie sont optimales. Pour bien caractériser son risque, on mesure tout de même son niveau de hsCRP qui s'établit à 1.54 mg/L, donc inférieur à 2 mg/L qui est considéré comme la valeur déterminante selon les plus récentes lignes directrices canadiennes. Il ne faut pas oublier que madame Dion présente, en plus de son histoire familiale, deux autres facteurs de risque non traditionnels aggravants, soit son taux élevé de Lp(a) et son arthrite rhumatoïde. En effet, une valeur de Lp(a) supérieure à 30 augmente son risque cardiovasculaire d'environ 15%. De plus, la présence de polyarthrite rhumatoïde multiplie son risque cardiovasculaire de 1.5 à 2.5 fois par rapport à celui d'une femme de son âge en bonne santé (Figure 1). De plus, une étude récente a démontré que les patients porteurs de polyarthrite rhumatoïde présenteraient un risque cardiovasculaire semblable à celui des diabétiques (Figure 2).

Figure 1
Figure 1
Figure 2
Figure 2

En discutant avec la patiente au sujet des bénéfices d’un traitement hypolipidémiant, elle nous mentionne qu’elle aimerait bien savoir si ses artères sont déjà obstruées par du cholestérol. Pour répondre à cette question et de façon à raffiner notre évaluation de son risque cardiovasculaire, nous décidons de procéder à deux examens non invasifs, soit la mesure de l’épaisseur intima/media carotidienne par échographie et la tomodensitométrie cardiaque pour établir le score calcique coronarien. Son épaisseur intima/media carotidienne est mesurée à 1.2 mm à la carotide commune droite et gauche, soit des valeurs deux fois supérieures au 75e percentile pour son âge qui s’établit à 0.75 mm. Son score calcique coronarien d’Agatston est mesuré à 431, encore une fois une valeur très élevée qui multiplie environ par deux son risque cardiovasculaire établi par le score de Framingham. À la suite de ces deux évaluations vasculaires, il ne fait plus de doute que madame Dion mérite un traitement pharmacologique à l’aide d’une statine afin d’abaisser son taux de LDL-C d’au moins 50% en visant une valeur absolue inférieure à 2 mmol/L ou une valeur d’Apo B à 0.8 g/L.