ANÉVRISMES ARTÉRIELS CONCOMITANTS

17 août 2017

ANÉVRISMES ARTÉRIELS CONCOMITANTS

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Une association existe entre la présence d’un anévrisme de l’aorte et celle d’un anévrisme d’une artère périphérique. Lorsque deux anévrismes localisés à des sites différents se retrouvent chez un patient, nous parlons d’anévrismes concomitants ou synchrones. Un examen physique des pouls périphériques permettrait d’identifier davantage ces anévrismes au stade asymptomatique.

Un homme âgé de 80 ans s’est présenté à une clinique médicale. Lors de l’examen physique, deux masses pulsatiles ont été palpées : l’une à l’abdomen et la seconde dans le creux poplité droit. L’angiographie par tomodensitométrie (Angio CT) effectuée par la suite a révélé la présence de plusieurs anévrismes soit au niveau de la crosse aortique, de l’aorte abdominale, de l’artère iliaque commune droite, et de l’artère poplitée droite.

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Angio CT de l’aorte démontrant la présence d’anévrismes au niveau de la crosse aortique, de l’aorte abdominale et de l’artère iliaque commune droite.
1) Quelles sont les conséquences cliniques potentielles de l’anévrisme d’une artère poplitée?
2) Quelle est la probabilité de découvrir un anévrisme de l’aorte abdominale lorsqu’un anévrisme d’une artère poplitée est palpé à l’examen physique?
3) En quoi consiste le traitement hybride de la crosse aortique?

Rédigé par Dr Philippe Charbonneau, résident en chirurgie vasculaire, CUSM.
Remerciement spécial au Dr Oren K. Steinmetz, chirurgien vasculaire, CUSM.

La définition classique d’un anévrisme est un vaisseau sanguin ayant un diamètre égal ou supérieur à 150% de celui d’un vaisseau normal adjacent.1 L’aorte abdominale mesure normalement près de 2 cm. On définit donc l’anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) lorsque son diamètre atteint 3 cm ou plus. Le principe s’applique également pour toutes les autres artères. Une artère poplitée mesurant 2 cm ou plus est définie comme anévrismale.2

Questions-clés à se poser :

1)Quelles sont les conséquences cliniques potentielles de l’anévrisme d’une artère poplitée?
L’anévrisme de l’artère poplitée (AAP) correspond à 70% de l’ensemble des anévrismes périphériques.3 La grande majorité des patients sont symptomatiques lors de la présentation initiale.4 L’ischémie d’un membre inférieur causée par une thrombose ou une embolie distale est la présentation la plus fréquente. Les symptômes peuvent varier d’une claudication intermittente à l’ischémie aiguë de la jambe ipsilatérale. Contrairement aux AAA, la rupture d’un AAP est très rare. La rupture survient dans 2.5% des cas et le risque d’amputation associé est très élevé.5 Les anévrismes de grande taille peuvent également entraîner des symptômes par la compression qu’ils peuvent exercer sur les structures adjacentes, tels les veines (thrombophlébite veineuse) et les nerfs (dysfonction motrice et/ou sensitive). Lors de la suspicion clinique d’un AAP, le duplex est l’examen initial de choix pour confirmer le diagnostic.6 Un traitement chirurgical ou endovasculaire devrait être envisagé pour tous les AAP asymptomatiques, peu importe leur taille, compte tenu du risque de plus de 40% de développer des symptômes ischémiques.7

2)Quelle est la probabilité de découvrir un anévrisme de l’aorte abdominale lorsqu’un anévrisme d’une artère poplitée est palpé à l’examen physique?
La majorité des AAP sont de nature dégénérative. Lorsqu’un AAP est trouvé chez un patient, la probabilité de découvrir un AAP au niveau du membre controlatéral s’élève à 50%. Aussi, 30 à 50% des patients présentant un AAP, ont un AAA associé.8 Cependant, moins de 15% des gens ayant un diagnostic de AAA possèdent un AAP.9 Le patient porteur d’un AAA a 12% de chances d’avoir un anévrisme de l’aorte thoracique (AAT), et l’inverse est noté dans 50% du temps.10 Près de 30% des AAA ont également un anévrisme d’une artère iliaque associée.11 Lorsque deux anévrismes localisés à des sites différents se retrouvent chez une même personne, nous parlons d’anévrismes concomitants ou synchrones.

3)En quoi consiste le traitement hybride de la crosse aortique?
Les anévrismes de l’aorte thoracique (AAT) correspondent à moins de 5% de l’ensemble des anévrismes aortiques. Habituellement, un traitement chirurgical pour l’AAT est envisagé lorsque le diamètre est de 6,0 cm et plus, ou lorsqu’il y a présence de symptômes associés.12 Le traitement chirurgical de l’anévrisme de la crosse aortique constitue un perpétuel défi pour le chirurgien. Le remplacement de la crosse aortique sous circulation extracorporelle ou arrêt circulatoire est une chirurgie qui présente des risques de complications majeures. Cependant, lors de la dernière décennie, l’arrivée des endoprothèses thoraciques couvertes offre plusieurs options moins morbides qui peuvent être proposées aux patients. L’objectif du traitement d’un AAT consiste à isoler l’anévrisme du flot sanguin et à préserver la circulation des artères majeures dont l’origine émerge de cet anévrisme. Plusieurs endoprothèses thoraciques couvertes sont disponibles sur le marché. Ces prothèses ont une forme tubulaire de diamètre et de longueur variables. La majorité des compagnies suggère une zone de déploiement intra-artérielle d’au moins 2,0 cm proximalement et distalement à l’anévrisme. Ceci permet d’obtenir une bonne étanchéité entre l’artère saine et l’endoprothèse. Si après la procédure chirurgicale il y a toujours présence d’un flot à l’intérieur du sac anévrismal, nous parlons alors d’une endofuite. Ces endofuites doivent être traitées ou suivies sérieusement dépendamment de leur source.

Discussion du cas présenté:

Chez ce patient de 80 ans, l’Angio CT a démontré un AAT de 7.0 cm de diamètre incorporant l’origine de l’artère sous-clavière gauche et de la carotide commune gauche. L’objectif chirurgical pour ce patient était d’effectuer une chirurgie hybride compte tenu de son âge avancé et de sa condition médicale. Cette procédure comporte 2 étapes majeures : un cervical debranching suivi d’une pose d’endoprothèse aortique thoracique (TEVAR) (Figure A). Le debranching est défini par des pontages extra-anatomiques permettant de préserver le flot dans les artères provenant de la crosse aortique. Ceci permet par la suite d’obtenir une zone d’apposition d’une longueur adéquate entre l’endoprothèse et l’aorte saine. Un pontage de la carotide commune droite vers la carotide commune gauche, ainsi qu’un pontage entre la carotide commune gauche et l’artère sous-clavière gauche ont été effectués dans un premier temps. Lors d’une deuxième intervention, une endoprothèse thoracique a été déployée distalement au tronc innominé tout en couvrant l’origine de la carotide commune gauche et de la sous-clavière gauche. L’angiographie a démontré une endofuite provenant du flot rétrograde de l’artère sous-clavière gauche (Figure B). L’origine de ce vaisseau a été embolisé à l’aide d’un dispositif occlusif endovasculaire.

L’une des principales complications de cette procédure chirurgicale est l’AVC dû à la manipulation des fils guides au niveau de la crosse aortique lors du TEVAR et aux embolies lors de la création des pontages carotidiens. Aussi, il y a l’ischémie médullaire pouvant entraîner une paraplégie permanente dans 5 à 10% des cas (en lien principalement avec la couverture de l’origine des artères intercostales et de l’artère d’Adamkiewicz par l’endoprothèse).13 L’installation d’un drain lombaire permettant de diminuer la pression dans l’espace intrathécal et d’augmenter le gradient de la perfusion artérielle vers la moelle épinière est l’une des façons les plus efficaces de diminuer le risque d’ischémie médullaire.

L’AAA et l’anévrisme de l’artère iliaque commune de ce patient ont été traités par technique endovasculaire (EVAR) dans un troisième temps (Figure C). Le patient a très bien récupéré en période postopératoire. L’anévrisme de l’artère poplitée sera traité ultérieurement.

Figure A
Figure A
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La première intervention est d’effectuer des pontages extra-anatomiques permettant de préserver le flot au niveau des vaisseaux provenant de la crosse aortique (debranching). La deuxième procédure est le déploiement d’une endoprothèse aortique (TEVAR).

Figure B
Figure B

Angiographie démontrant une endofuite provenant du flot rétrograde de l’artère sous-clavière gauche. L’origine de ce vaisseau a été embolisé à l’aide d’un dispositif occlusif endovasculaire.

Figure C
Figure C

Angio CT fait un mois après les interventions au niveau de la crosse aortique et de l’AAA.

Remerciement
Dr Oren K. Steinmetz, chirurgien vasculaire, CUSM.

Références
1. Johnston KW, et al: Suggested standards for reporting on arterial aneurysms. Subcommittee on Reporting Standards for Arterial Aneurysms, Ad Hoc Committee on Reporting Standards, Society for Vascular Surgery and North American Chapter, International Society for Car- diovascular Surgery. J Vasc Surg 13:452–458, 1991. 

2. Davis RP, et al: Ultrasound scan in diagnosis of peripheral aneurysms. Arch Surg 112:55–58, 1977. 

3. Lawrence PF, et al: The incidence of iliac, femoral, and popliteal artery aneurysms in hospitalized patients. J Vasc Surg 22:409–415; discussion 415–416, 1995. 

4. Shortell CK, et al: Popliteal artery aneurysms: a 25-year surgical experi- ence. J Vasc Surg 14:771–776; discussion 776–779, 1991. 

5. Szilagyi DE, et al: Popliteal arterial aneurysms: their natural history and management. Arch Surg 116:724–728, 1981. 

6. Turnipseed WD, et al: Digital subtraction angiography and B-mode ultrasonography for abdominal and peripheral aneurysms. Surgery 92:619–626, 1982. 

7. Ascher E, et al: Small popliteal artery aneurysms: are they clinically 
significant? J Vasc Surg 37:755–760, 2003. 

8. Dawson I: Management of popliteal aneurysm. Br J Surg 90:249–250, 2003. 

9. Diwan A, et al: Incidence of femoral and popliteal artery aneurysms in patients with abdominal aortic aneurysms. J Vasc Surg 31:863–869, 2000. 

10. Crawford ES, et al: Aortic aneurysm: a multifocal disease. Presidential address. Arch Surg 117(11):1393–1400, 1982. 

11. Olsen PS, et al: Surgery for abdominal aortic aneurysms. A survey of 656 patients. J Cardiovasc Surg (Torino) 32(5):636–642, 1991. 

12. Fann JI: Descending thoracic and thoracoabdominal aortic aneurysms. Coron Artery Dis 13:93–102, 2002.
13. Coselli JS, et al: Left heart bypass during descending thoracic aortic aneurysm repair does not reduce the incidence of paraplegia. Ann Thorac Surg 77:1298–1303; discussion 1303, 2004.