Accident vasculaire cérébral ischémique et cancer occulte : un défi diagnostic

7 février 2019

Accident vasculaire cérébral ischémique et cancer occulte : un défi diagnostic

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L’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique et le cancer sont deux entités cliniques qui peuvent coexister chez un même individu. L’AVC ischémique peut constituer une complication d’un cancer diagnostiqué, mais peut également s’inscrire dans la phase pré-diagnostique d’un cancer en évolution et ainsi représenter la manifestation initiale d’un cancer occulte.

Cas clinique

Une femme de 50 ans d’origine asiatique sans facteur de risque cérébrovasculaire modifiable est évaluée pour une suspicion d’AVC aigu, avec une hémiparésie et une hémihypoesthésie gauche. Une imagerie par résonnance magnétique (IRM) cérébrale confirme la présence de foyers ischémiques aigus bilatéraux (territoire de l’artère cérébrale moyenne droite et gauche) (figure 1). À son examen, la patiente présente des hémorragies sous-unguéales en flammèches sur l’ensemble des doigts ainsi qu’un souffle systolique aortique III/VI, sans fièvre objectivée. Une anémie normocytaire légère et une protéine C-réactive (CRP) normale sont également notées. Les échocardiographies transthoracique (ETT) et transœsophagienne (ETO) ne démontrent pas de végétation ou de shunt et les hémocultures sériées demeurent négatives. L’angioscan cérébral et le bilan inflammatoire sont négatifs. Un traitement antiplaquettaire par aspirine est initié. Au cours de son hospitalisation, la patiente évoque une nouvelle douleur dorsale inhabituelle. Un examen supplémentaire est effectué. Lisez la suite après les questions.

 

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Figure 1: IRM cérébrale, séquence DWI, acquisition axiale.

Questions

1) Quels indices peuvent être utilisés pour suspecter un cancer occulte et guider les investigations supplémentaires lors d’un AVC ischémique ?

Plusieurs études rétrospectives ainsi que quelques études prospectives comprenant des examens standardisés ont comparé certaines caractéristiques des AVC ischémiques survenus en présence ou en l’absence de cancer actif (occulte ou connu). Ces caractéristiques peuvent être divisées en 3 catégories :

1- Caractéristiques de l’individu

L’âge avancé a été identifié comme un prédicteur indépendant de cancer occulte après un AVC ischémique [1]. Les patients avec cancer occulte présentent aussi moins de facteurs de risque cérébrovasculaires traditionnels [2]. Une prévalence plus élevée d’antécédents thromboemboliques veineux chez les patients avec AVC ischémique a aussi été associée à la présence de cancer actif [3].

2- Caractéristiques de l’AVC

Les AVC ischémiques avec cancer actif ou occulte sont plus fréquemment associés à une distribution dans plus d’un territoire vasculaire, évoquant souvent une étiologie embolique [4, 5]. Un AVC d’étiologie indéterminée après un bilan standard est aussi observé plus fréquemment en présence de cancer occulte [6].

3- Caractéristiques paracliniques

Certains tests de laboratoire pourraient aider à identifier un AVC ischémique avec cancer occulte. En effet, des niveaux supérieurs de D-dimères, de CRP et de fibrinogène ont été notés en présence de cancer [1, 6]. Une association a aussi été établie entre une anémie à l’admission et l’incidence de cancer après un AVC ischémique [7].

Malgré l’identification de ces prédicteurs, l’approche diagnostique optimale du cancer occulte en AVC ischémique demeure incertaine. Il est généralement accepté que les investigations devraient être guidées par la probabilité pré-test d’obtenir un diagnostic de cancer, puisque la probabilité qu’un cancer occulte soit diagnostiqué suite à un AVC ischémique demeure faible et ne devrait généralement pas justifier un bilan extensif chez tous les patients. Certains auteurs ont suggéré de procéder à la recherche de cancer occulte en présence d’AVC ischémique d’étiologie indéterminée s’il existe des indices à l’histoire, à l’examen ou au bilan paraclinique [8].

2) Quels mécanismes sont impliqués dans la survenue d’un AVC ischémique en présence de cancer actif ?

La survenue d’AVC ischémique en présence de cancer actif peut s’expliquer en partie par des mécanismes propres au cancer. L’hypercoagulabilité associée au cancer est causée par l’expression de molécules pro-coagulantes, comme le facteur tissulaire, ainsi que par la production des cytokines qui ont le potentiel d’endommager l’endothélium vasculaire [8]. Les adénocarcinomes possèdent un risque de complications thrombotiques accru par la production de mucine, pouvant activer les plaquettes et l’endothélium [9]. L’inflammation associée au cancer a aussi le potentiel d’accélérer la formation de plaques d’athérosclérose [10].

Les étiologies d’AVC ischémique pourraient différer selon la présence ou non d’un cancer actif. Une endocardite marantique a été retrouvée chez 18% des patients avec AVC ischémique et cancer actif référés pour une ETO, et la plupart d’entre eux avait préalablement eu une ETT négative [11]. L’AVC ischémique avec cancer occulte demeure plus fréquemment d’étiologie indéterminée après un bilan standard par rapport à l’AVC ischémique sans cancer [6].

Un cancer actif est donc susceptible de contribuer à un AVC ischémique par des mécanismes spécifiques et des étiologies distinctes. Davantage de réponses sur les causes de l’AVC ischémique en présence de cancer pourraient suivre avec la publication d’études en cours, comme MOST-CA (ClinicalTrials.gov ID: NCT02604667) qui doit être complétée en 2020.

3) Quels traitements antithrombotiques peuvent être proposés en AVC ischémique avec cancer actif ?

Après un AVC ischémique, la décision d’opter pour un régime antiplaquettaire ou anticoagulant demeure essentiellement empirique, basée sur le mécanisme présumé. Cependant, la plus grande prévalence d’étiologie indéterminée et l’hypercoagulabilité qui sont retrouvées en présence de cancer ont mené à la proposition de favoriser un régime anticoagulant dans cette population. Le principal contre-argument à cette stratégie est le risque hémorragique associé, particulièrement en présence de cancer [9].

Les données probantes sur le sujet sont peu nombreuses. L’étude pilote TEACH publiée en 2018 a été la première étude randomisée contrôlée à évaluer le traitement antithrombotique (aspirine vs enoxaparine) en AVC ischémique avec cancer actif [12]. En raison du petit nombre de patients recrutés dans l’étude (n=20), aucune interprétation formelle n’a pu être avancée. Une autre étude récente a suggéré que la correction de l’hypercoagulabilité associée au cancer par un anticoagulant pourrait améliorer le pronostic après un AVC ischémique [13]. Il est possible d’espérer une prochaine étude qui apportera davantage de données probantes pour les cliniciens, tel que l’étude pilote ENCHASE (ClinicalTrials.gov ID: NCT03570281) qui doit être complétée en 2020.

Conclusion du cas clinique et retour sur les points importants

Une IRM dorsolombaire effectuée pour rechercher une spondylodiscite dans le contexte de la suspicion d’endocardite infectieuse démontre une fracture pathologique du corps vertébral D11 (figure 2). Des lésions osseuses lytiques multifocales sont observées à la scintigraphie. Le scan thoracique permet d’identifier une lésion nodulaire au lobe inférieur gauche, suspecte de cancer pulmonaire primaire (figure 3). La patiente est évaluée pour un traitement oncologique. Au suivi effectué à 3 mois, la patiente est dépendante dans ses activités de la vie domestique et quotidienne et nécessite une assistance à la marche.

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Figure 2: IRM dorsale, séquence STIR, acquisition sagittale.
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Figure 3: Scan thoracique C+, acquisition axiale.

Le cas présenté est un exemple d’AVC ischémique aigu accompagné d’un cancer systémique occulte. Il est probable qu’un clinicien soit confronté à cette entité durant sa pratique. En effet, on rapporte des incidences cumulées de nouveau diagnostic de cancer après un AVC ischémique de 3% en cours d’hospitalisation et de 7,6% lors d’un suivi de 18 mois [5, 7].

Ce cas rappelle l’importance de l’examen général complet, y compris des phanères, en contexte de maladie cérébrovasculaire. Le diagnostic différentiel des hémorragies sous-unguéales en flammèches comprend entre autres un syndrome antiphospholipide, une vasculite systémique, une endocardite infectieuse et une endocardite marantique. Chez cette patiente, il est possible que ces hémorragies s’expliquent par une thrombose sur l’état d’hypercoagulabilité associé au cancer, ou encore une endocardite marantique avec faux négatif à l’ETO.

Ce cas illustre aussi le défi que peut parfois constituer cette entité, de sa suspicion à son diagnostic. La possibilité de cancer chez cette patiente a pu être soulevée par l’absence de facteur de risque cérébrovasculaire traditionnel, l’AVC d’étiologie indéterminée après un bilan standard, l’atteinte de plus d’un territoire vasculaire et l’anémie à l’admission.

Il est important de procéder à la recherche d’appels de cancer à l’histoire, à l’examen et au bilan paraclinique dans un contexte d’AVC ischémique, particulièrement en présence d’une étiologie indéterminée. En intégrant cette pratique, le clinicien peut détecter précocement un cancer occulte et espérer en améliorer le pronostic.

Remerciements à Dre Laura C. Gioia, neurologue vasculaire au Centre hospitalier de l’Université de Montréal

Références

1.               Selvik, H.A., et al., Cancer-Associated Stroke: The Bergen NORSTROKE Study.Cerebrovasc Dis Extra, 2015. 5(3): p. 107-13.

2.               Taccone, F.S., S.M. Jeangette, and S.A. Blecic, First-ever stroke as initial presentation of systemic cancer.J Stroke Cerebrovasc Dis, 2008. 17(4): p. 169-74.

3.               Schwarzbach, C.J., et al., Stroke and cancer: the importance of cancer-associated hypercoagulation as a possible stroke etiology.Stroke, 2012. 43(11): p. 3029-34.

4.               Kim, S.J., et al., Clues to occult cancer in patients with ischemic stroke.PLoS One, 2012. 7(9): p. e44959.

5.               Quintas, S., et al., Predictors of unknown cancer in patients with ischemic stroke.J Neurooncol, 2018. 137(3): p. 551-557.

6.               Cocho, D., et al., Predictors of occult cancer in acute ischemic stroke patients.J Stroke Cerebrovasc Dis, 2015. 24(6): p. 1324-8.

7.               Uemura, J., et al., Acute stroke patients have occult malignancy more often than expected.Eur Neurol, 2010. 64(3): p. 140-4.

8.               Dearborn, J.L., V.C. Urrutia, and S.R. Zeiler, Stroke and Cancer- A Complicated Relationship.J Neurol Transl Neurosci, 2014. 2(1): p. 1039.

9.               Navi, B.B. and C. Iadecola, Ischemic stroke in cancer patients: A review of an underappreciated pathology.Ann Neurol, 2018.

10.            Tapia-Vieyra, J.V., B. Delgado-Coello, and J. Mas-Oliva, Atherosclerosis and Cancer; A Resemblance with Far-reaching Implications.Arch Med Res, 2017. 48(1): p. 12-26.

11.            Dutta, T., et al., Yield of transesophageal echocardiography for nonbacterial thrombotic endocarditis and other cardiac sources of embolism in cancer patients with cerebral ischemia.Am J Cardiol, 2006. 97(6): p. 894-8.

12.            Navi, B.B., et al., Enoxaparin vs Aspirin in Patients With Cancer and Ischemic Stroke: The TEACH Pilot Randomized Clinical Trial.JAMA Neurol, 2018. 75(3): p. 379-381.

13.            Lee, M.J., et al., Hypercoagulability and Mortality of Patients with Stroke and Active Cancer: The OASIS-CANCER Study.J Stroke, 2017. 19(1): p. 77-87.