Surprise en cours de suivi…

25 avril 2015

Surprise en cours de suivi…

47

Un homme de 34 ans sans antécédent pertinent consulte pourcéphaléeprogressive depuis 2 semaines. La douleur a atteint une intensité sévère, s’associant à une vision embrouillée et des nausées. Il n’est pas question de fièvre ou de foyer septique. L’examen physique révèle une nuque souple, un papilloedème bilatéral avec élargissement des taches aveugles et des acuités visuelles monoculaires à 6/60 bilatéralement. L’IRM documente la thrombose du sinus sagittal supérieur, sans lésion encéphalique ni artériopathie. Une légère thrombocytose à 584 x 109/L est notée à l’admission et interprétée comme réactionnelle. Les tests sanguins n’identifient pas d’état prothrombotique. Une ponction lombaire démontre un liquide céphalorachidien de composition normale. La pression intrathécale est à 55 cm H2Oà l’ouverture et à 18 cm H2O à la fermeture.

1. Quels sites et quelle présentation sont les plus fréquents dans la thrombose veineuse cérébrale, et dans ce cas quelle complication est la plus sérieuse?
La thrombose veineuse cérébrale affecte le plus souvent le sinus sagittal supérieur et le sinus latéral. À moins d’extension aux autres structures veineuses, la thrombose du sinus sagittal supérieur ou du sinus latéral se présente typiquement par une hypertension intracrânienne isolée avec céphalée secondaire. La neuropathie optique est la complication la plus sérieuse de l’hypertension intracrânienne isolée secondaire à la thrombose du sinus sagittal supérieur.

2. Quel est la place de la ponction lombaire dans la prise en charge de la thrombose veineuse cérébrale?
La ponction lombaire offre un double intérêt : étiologique (ex. : méningite infectieuse, essaimage méningé néoplasique) et thérapeutique (amélioration rapide de la céphalée et de la vision en réduisant la pression intracrânienne et possible facilitation de la circulation veineuse). La ponction lombaire doit être effectuée avant de débuter l’anticoagulation et s’il n’y a pas de contre-indication (ex. : effet de masse).

3. À quelles causes de thrombose veineuse cérébrale doit-on penser en présence d’une formule sanguine révélant un décompte plaquettaire élevé?
Certaines conditions peuvent à la fois entraîner une thrombocytose réactionnelle et causer une thrombose veineuse cérébrale(ex. : cancer, maladies inflammatoires intestinales).Plus rarement, la thrombocytose est elle-même la cause de la thrombose veineuse cérébrale (ex. : thrombocytose essentielle et autres syndromes myéloprolifératifs).

Rapport de cas (suite).
Un traitement avec acétazolamide est aussitôt instauré, ainsi qu’une anticoagulation par héparine intraveineuse suivie de Warfarine ciblant un INR de 2,5 ± 0,5. Au congé 2 semaines plus tard, le patient conserve une céphalée modérée,sans nouveau symptôme. L’examen visuel s’est légèrement amélioré. Le décompte plaquettaire s’est alors normalisé, atteignant 180 x 109/L. Trois mois plus tard, la céphalée s’exacerbe malgré l’acétazolamide et une anticoagulation adéquate. À l’IRM de contrôle, on observe maintenant l’extension de la thrombose aux veines cérébrales internes et la présence de veines transcérébrales dilatées dans la région frontale gauche, entourées d’un œdème vasogène (figure). Une thrombocytose est à nouveau retrouvée, atteignant alors 1020 x 109/L. Une biopsie de moelle osseuse met en évidence des mégakaryocytes hyperplasiques et la formation spontanée de colonies érythroïdes. Les tests génétiques documentent une mutation JAK2 V617F en l’absence de translocation BCR-ABL (9;22). Une thrombocytose essentielle est diagnostiquée et traitée au moyen d’agents cytoréducteurs. L’acétazolamide est maintenue et l’aspirine combinée à la Warfarine. Le patient n’expérimentera aucun nouveau symptôme neurologique ou systémique au cours d’un suivi clinique de 82 mois. Toutefois, une IRM de contrôle révélera la présence d’un infarctus cérébelleux non-lacunaire, survenu silencieusement sous Warfarine alors que l’aspirine avait été cessée depuis 46 mois. L’aspirine sera alors reprise.

La thrombocytose essentielle est un syndrome myéloprolifératif associé aux thromboses veineuses et artérielles et à une atteinte congestive microcirculatoire (ex. : erythromélalgie).1 Il s’agit d’une rare cause de thrombose veineuse cérébrale. 2Comme chez ce patient, on peut parfois mésinterpréter l’origine d’une thrombocytose et croire à un mécanisme réactionnel dans le contexte d’un événement thromboembolique aigu. De plus, la thrombose veineuse cérébrale peut précéder l’élévation du décompte plaquettaire dans le sang périphérique, compliquant ainsi le diagnostic de la thrombocytose essentielle et en retardant le traitement. L’apparition d’une thrombocytose en cours de suivi peut révéler ce diagnostic étiologique. Malgré un traitement antithrombotique et cytoréducteur approprié, 3le risque d’un événement thromboembolique récidivant demeure présent dans la thrombocytose essentielle.4

Thrombose du sinus sagittal supérieur et des veines cérébrales internes
Thrombose du sinus sagittal supérieur et des veines cérébrales internes
Thrombose du sinus sagittal supérieur et veines transcérébrales dilatées
Thrombose du sinus sagittal supérieur et veines transcérébrales dilatées
Thrombose du sinus sagittal supérieur et entourées d’un œdème vasogène dans la région frontale gauche
Thrombose du sinus sagittal supérieur et entourées d’un œdème vasogène dans la région frontale gauche

Références

  1. Michiels JJ, et al. Platelet-mediated erythromelalgic, cerebral, ocular and coronary microvascular ischemic and thrombotic manifestations in patients with essential thrombocythemia and polycythemiavera: a distinct aspirin-responsive and coumadin-resistant arterial thrombophilia. Platelets 2006;17:528-544.
  2. De Stefano V, Fiorini A, Rossi E, Za T, Farina G, Chiusolo P, Sica S, Leone G. Incidence of the JAK2 V617F mutation among patients with splanchnic or cerebral venous thrombosis and without over tchronicmyelo proliferative disorders. J Thromb Haemost 2007; 5: 708-714.
  3. Tefferi A. Polycythemiavera and essential thrombocythemia: 2012 update on diagnosis, risk stratification, and management. Am J Hematol 2012;87:285-293.
  4. De Stefano V, et al. Recurrent thrombosis in patients with polycythemiavera and essential thrombocythemia: incidence, risk factors, and effect of treatments. Haematologica 2008;93:372-380.