La scintigraphie pulmonaire ventilation-perfusion dans l’investigation de l’embolie pulmonaire : l’empereur doit-il aller se rhabiller ?

27 avril 2015

La scintigraphie pulmonaire ventilation-perfusion dans l’investigation de l’embolie pulmonaire : l’empereur doit-il aller se rhabiller ?

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Présentation clinique

Un homme de 64 ans, consulte pour aggravation d’une dyspnée d’effort à la marche d’un pas normal (grade 3/5) et la persistance d’une douleur thoracique antérieure gauche non pleurétique, apparue immédiatement après une intervention coronarienne percutanée complexe réalisée deux semaines plus tôt, dans le contexte d’une admission pour angine accélérée (classe 3/4 de la Société Canadienne de Cardiologie). Il était connu pour angine depuis 1984, et avait subi de multiples pontages coronariens pour une atteinte tri-tronculaire en 1991 (mammaire sur l’inter ventriculaire antérieur (IVA) et la 1ère diagonale (D1), veineux pour l’artère coronaire droite distale et l’inter ventriculaire postérieure), La procédure a consisté à rouvrir partiellement une sténose de 90% la jonction du tronc commun (TC) et de l’artère circonflexe (Cx), et entre le TC et l’IVA et D1 avec un Rotablator, suivi d’angioplasties et mise en place de tuteurs coronariens (4), par approche fémorale droite.

Par ailleurs, le patient est un ancien chauffeur d’autobus, suivi et traité pour un asthme léger depuis 2002, un syndrome d’apnée obstructive du sommeil depuis 2003, un purpura thrombopénique idiopathique depuis 1985, de l’hypertension artérielle et une hypercholestérolémie. Sa médication inclut aspirine, clopidogrel, diltiazem, bisoprolol, mono nitrate d’isosorbide, ramipril, atorvastatin, pantoprazole, inhalateur de salmétérol et fluticasone et inhalateur de salbutamol.

Le patient rapportait une respiration sifflante mais pas de douleur ni d’œdème des membres inférieurs. TA 124/66 et pouls régulier à 66/minute. L’auscultation pulmonaire révélait une diminution du murmure vésiculaire et un frottement pleural à la base gauche, et de légères sibilances expiratoires à droite. L’urgentologue a suspecté une embolie pulmonaire. Un dosage des D-dimères s’est avéré supérieur à 10,000 ?g/L. La radiographie pulmonaire montrait des plaques pleurales et un foyer d’atélectasie ronde en regard du lobe supérieur droit. La scintigraphie pulmonaire a montré deux déficits perfusionnels non couplés à des déficits de ventilation, au segment basal postérieur du lobe inférieur droit et sous-segmentaire en latéral du tiers moyen du poumon droit, interprétés comme une haute probabilité d’embolie pulmonaire.

Questions

  • 1) À la lumière de ces résultats, quelle est la probabilité clinique pré-test d’embolie pulmonaire ?
  • 2) Y a-t-il d’autres diagnostics possibles qui pourraient expliquer les symptômes et signes cliniques pré-décrits ?
  • 3) À la lumière des résultats de la scintigraphie pulmonaire, à combien estimez-vous la probabilité clinique post-test d’embolie pulmonaire ?
  • 4) Quels éléments du rapport de la scintigraphie pulmonaire soulèvent un doute par rapport au diagnostic d’embolie pulmonaire ?

Réponses

  • 1) Notre patient a peu de facteurs de risque de thrombose veineuse profonde (TVP) et d’embolie pulmonaire (EP), en dehors de l’immobilisation relative lors de l’hospitalisation récente. Selon la littérature médicale, les interventions coronariennes percutanées (ICP) ne sont pas associées à un risque accru, contrairement à la chirurgie cardiaque. Les symptômes du patient ont soulevé à juste titre la possibilité d’une EP. Il est possible que la douleur thoracique gauche ait découlé de la procédure, en raison de son apparition immédiatement après. De plus, la dyspnée d’effort et les sibilances peuvent s’expliquer par une déstabilisation de l’asthme, suite à une majoration de la posologie du bisoprolol lors de l’hospitalisation récente. Ainsi donc, la probabilité clinique pré-test d’embolie pulmonaire m’apparaît faible.
  • 2) Parmi les autres diagnostics possibles, une exagération de l’asthme, une pleuro-péricardite (post-ICP ?), une pleurésie amiantosique (vu les plaques pleurales décrites, suggérant une exposition antérieure à l’amiante). Une pleuropneumonie semble moins probable, vu l’absence d’opacités alvéolaires sur la radiographie pulmonaire.
  • 3) Selon l’étude PIOPED publiée en 1990, la combinaison d’une probabilité clinique pré-test faible d’embolie pulmonaire et d’une scintigraphie pulmonaire ventilation-perfusion de haute probabilité correspond à une probabilité d’embolie pulmonaire d’environ 56% à l’angiographie, donc mandate la poursuite de l’investigation.
  • 4) La scintigraphie pulmonaire révèle deux déficits perfusionnels au poumon droit et aucun à gauche, tandis que la douleur thoracique et le frottement pleural sont localisés à droite, soulevant un doute sérieux.

Suivi du cas clinique

L’angioscan pulmonaire n’a pas démontré d’embolies pulmonaires. En revanche, il a confirmé la présence de plaques pleurales bilatérales, plus marquées à droite, d’un début d’atélectasie ronde en regard du lobe supérieur droit et d’une discrète fibrose sous-pleurale, suggestive d’un début d’amiantose. Rétrospectivement, le patient a travaillé de 1959 à 1963 dans la plomberie, avec démantèlement d’isolation contenant de l’amiante autour de tuyaux et système de chauffage. Par ailleurs, la spirométrie montrait une accentuation de l’obstruction bronchique, compatible avec un asthme mal maîtrisé. Le bisoprolol a été remplacé et la teneur de fluticasone majorée. Dans les semaines qui ont suivi, le patient a vu sa douleur thoracique s’atténuer progressivement et sa dyspnée est revenue à son niveau antérieur. Il n’a pas présenté de signes ou symptômes de TVP ni d’EP durant les 3 mois subséquents.

Discussion

Le développement et la dissémination des appareils de tomodensitométrie multi-détecteurs permet un accès répandu au protocole d’angioscan pulmonaire à l’ensemble des hôpitaux québécois (ou presque), un examen presque aussi sensible (90-95%) mais beaucoup plus spécifique (95-99%) pour la détection d’EP, que la scintigraphie pulmonaire. Ceci n’implique pas que les cliniciens doivent soumettre la totalité de leurs patients avec suspicion d’EP à un angioscan pulmonaire et cesser de prescrire des scintigraphies !

La scintigraphie pulmonaire permet d’éliminer le diagnostic d’EP lorsqu’il est décrit normal ou quasi-normal ou si la probabilité scintigraphique et cliniques d’EP sont toutes les deux faibles. De plus, on accepte le diagnostic d’EP lorsque la probabilité scintigraphique d’EP est haute, alors que la probabilité clinique d’EP est intermédiaire ou élevée (voir tableau annexé).

De plus, la proportion d’examens ‘’non diagnostiques’’ a diminué depuis le remplacement du Xenon par le Technegas plus stable pour la ventilation et le recours à des coupes tomoscintigraphiques pour coupler la ventilation et la perfusion avec précision sur les appareils récents. La sélection de patients sans maladie cardio-pulmonaire et avec radiographie pulmonaire peu anormale contribue également à diminuer la proportion d’examens ‘’non diagnostiques’’.

Enfin, par rapport à l’angioscan, la scintigraphie évite les agents de contraste et diminue l’exposition aux radiations, ce qui peut s’avérer avantageux, par exemple advenant respectivement en cas d’insuffisance rénale ou durant la grossesse.

Valeur prédictive de la scintigraphie pulmonaire V / Q dans l’investigation de l’embolie pulmonaire
(PIOPED investigators, JAMA 1990; n= 887)

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